Sibérut : in the mud for love
Amoureux de la gauille, de la gadoue, de la bouillasse et de la patauge, bienvenue à Sibérut, « l’île Boueuse ».
Après avoir lu quelques journaux de voyageurs riches d’enseignement et suivi les conseils de camarades internautes, j’ai préparé cette virée sur Sibérut avec un guide : Monsieur Moly. Homme sérieux (un peu trop ?), discret et expérimenté, il a accepté de s’embarquer avec nous seuls dans cette aventure.
Certains guides en effet, pour des raisons financières, composent des groupes de 7 à 10 personnes, d’où alors le risque non négligeable de se retrouver avec la suissesse nymphomane ou l’australien picoleur et amateur d’exploits rangers dans la jungle. Ou pire encore : avec les deux ; c’est possible, je l’ai lu !
Bref, nous partons seuls, les sacs et les ravitaillements sont fins prêts, on peut embarquer. Le départ se fait de Padang sur un bateau qui va nous conduire sur l’île de Sibérut après une nuit de traversée. Cartons, paquets, sacs de riz, gamins et quantité d’adultes sont embarqués avec au moins 4 heures de retard sur l’horaire prévu : on attend la marée haute pour sortir du port. Une fois allongés sur tout ce qui est horizontal sur ce bateau, ils formeront un joli tapis humain qui rendra pour la durée de la nuit impossible toute tentative de se lever, y compris pour aller aux toilettes.
La traversée se fait sur une mer calme et nous arrivons dans la matinée à Muara Sibérut, point de départ de notre expédition.
Comme dans tous les ports de toutes les îles, l’arrivée du bateau avec sa cargaison d’hommes et de matériel est un moment joyeusement agité : amarrage, retrouvailles, déchargement chaotique de vieillards, de régimes de bananes, de brouettes ou de cartons de biscuits, le tout au milieu de cris en tout genre.
Nous voici donc au pays des hommes fleurs : les Mentawai. Nous arrivons dans la ville qui est en fait un village de bord de mer calme et familial, dernière bourgade moderne avant la jungle et sa vie spartiate.
La rivière est montée de 4 mètres hier et la plupart des sentiers sont impraticables autrement qu’en pirogue ; alors va pour la pirogue.
Forêt luxuriante, eaux marron, boue : ici, il pleut. Et, nous affirme Moly, c’est la saison sèche… On n’ose imaginer ce que doit être la saison des pluies.
Il me semble avoir dit dans un précédent article que nous aimions gadouiller, eh bien ici nous sommes servis. Glissades et rigolades assurées. Dès le lendemain, la décrue est amorcée et à nous la gadoue !
Nous sommes accueillis dans une famille Mentawai : en fait plusieurs frères qui vivent avec femmes et enfants sous le même toit.
Impressionnants.
Les hommes sont tatoués sur le corps et le visage. Ils sont nus, ne portant qu’un pagne végétal en guise de cache-sexe. Ils sont petits, mais leur musculature indique qu’ici, le corps est sollicité en permanence.
Ils ont de longs cheveux et les sourcils épilés.
Leurs femmes aussi sont tatouées et épilées, et elles ont les incisives taillées en pointe, un peu comme nous l'avions déjà vu chez les Himbas en Namibie. Certaines d’entre elles vont torse nu.
Une ribambelle d’enfants nus ou vêtus à l’Européenne se cachent et nous épient.
Et tous, petits et grands portent de beaux colliers jaunes et rouges en perles de rocaille.
Chacun s’observe : nous impressionnés de leur allure, eux de notre famille multicolore et chevelue.
Mais la glace est vite rompue : je me faufile dans la pièce du fond avec les femmes, et avec des gestes et des rires, la « conversation » est entamée ! Elles sont curieuses, malicieuses, le rire fait partie de leur quotidien. On se raconte nos accouchements dans les mimes et les fous rires : le lien est fait !
Merlin et Ambroise prouvent une fois de plus que le langage du jeu passe les frontières très facilement. Les soirées bulles de savon, ballons de baudruche ou tours de magie ont fait des adeptes.
De cette famille nous accompagnera tout au long de notre parcours Aman Gresik, homme fleur, « medecine man ». Chance formidable pour nous que de côtoyer de près cet homme au caractère affirmé, dans toute la noblesse de sa culture.
Les « medecine men » sont ces hommes tatoués qui ont appris pendant plusieurs années auprès de leurs anciens les secrets des plantes médicinales de la jungle. Ils soignent et effectuent des cérémonies rituelles pour chasser les mauvais esprits lors d’une maladie ou d’un malheur, ou appeler les bons lors d’une naissance, de la construction d’une maison ou d’une pirogue.
La semaine s’écoule de découverte en rencontre, les pieds dans la boue, le sourire aux lèvres et le soleil dans la tête.
Les balades dans la jungle consistent essentiellement en glissades boueuses et passages de ponts rudimentaires, à savoir un bambou qui enjambe une rivière, un ruisseau ou un passage très boueux.
Aman Gresik les franchit à la vitesse de l’éclair avec un redoutable équilibre. Avec Cassandre, nous nous sommes demandées, à chaque passage scabreux pour nous, si les Mentawai avaient acquis ce formidable sens de l’équilibre à force de passer ces improbables ponts, ou bien s’ils construisaient de tels ponts parce que ça suffisait grandement, vu leur équilibre inné. Une histoire d’œuf et de poule en quelque sorte.
Grâce à la rencontre de Gati, futur « medecine man » et de sa famille, nous avons appris comment fabriquer les pagnes pour les hommes,
les jupes pour les filles,
le poison pour mettre sur les flèches et chasser,
pêcher dans la rivière (et à l’occasion manger crues les crevettes)
Une vie simple mais bien remplie.
Malgré le passage régulier de touristes et la tentative d’ingérence de l’état indonésien, ce magnifique peuple m’a semblé d’une réelle authenticité.
Déjà parce qu’il est très difficile d’accès : les conditions climatiques et géographiques pour aller à sa rencontre sont laborieuses.
Ensuite parce que ces gens ne consomment absolument pas d’alcool et qu’ils ont su garder leur complète autonomie par rapport à la vie moderne. Aucun objet ou produit moderne ne fait partie de leur quotidien (à part les jolies montres qu'ils aiment avoir au poignet...).
Enfin parce qu’ils sont dotés d’un caractère fier et noble qui en impose dès la première rencontre.
Une semaine, c'est court, mais je sors de là comme je remonte d’une plongée : groggy et fascinée. Il va me falloir des paliers de décompression. Les 10 heures de retour en bateau ne seront pas de trop.